• Octobre rose

    A l'occasion d'Octobre Rose, je vous invite à (re)découvrir un Dessine-moi un sourire, une petite histoire écrite pour le concours fyctia "Même à l'ombre, les cigales chantent" sur le thème du cancer. 

    1ère partie : Le déni

     

    - Vous êtes en rémission complète, annonce le médecin.

     

    Assise à côté mon mari, ma main dans la sienne, les mots de l’homme en blouse blanche se fraient un chemin jusqu’à mon cerveau avant de tourner en boucle. Comme un disque rayé.

     

    Vous êtes en rémission complète.

    Vous êtes en rémission complète.

     

     

    Solal exerce une légère pression sur ma main. Lentement, je tourne mon visage dans sa direction et découvre l’immense sourire qui étire ses lèvres. Il lève nos doigts joints et y dépose un baiser, le regard ancré dans le mien. Il a l’air tellement heureux.

     

    Vous êtes en rémission complète.

     

    Cette information refuse d’atteindre ma conscience. Ce n’est pas la réalité, ce n’est pas ma réalité. Ma réalité, c’est que mes jours sont comptés, comme les feuilles de l’automne qui s’envolent toujours aux premiers frimas de l’hiver.

    Mon mari et mon médecin continuent de discuter ensemble. Comme si je n’étais pas là. Leurs lèvres se mouvent en silence. Aucun de leurs mots ne parvient à mes oreilles. La même phrase, encore et encore.

     

    Vous êtes en rémission complète.

    Vous être en rémission complète.

    Vous êtes condamnée.

     

    Je repense à ma petite fille au sourire pastel, au cœur arc-en-ciel qui s’est endormie hier soir aux mots du Petit Prince. Sa poitrine se soulevait régulièrement alors que je les lui chuchotais tendrement, sa petite main toujours serrée dans la mienne.

    « Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. »

     

    Quand je suis sortie de sa chambre, comme chaque soir, je lui ai fait mes adieux, lui ai promis de rire jusqu’à mon dernier souffle, et même après. De la faire rire, elle, tant que j’aurai la force d’ouvrir mes lèvres. Avant la fin. Avant de partir définitivement comme je m’y prépare depuis des mois.

     

    - Cassiopée ?

     

    La voix de mon mari fini par attirer mon attention. J’imagine qu’il a déjà dû prononcer mon prénom à plusieurs reprises. Depuis l’annonce de mon cancer, des rides ont creusé le coin de ses yeux, la tristesse a terni son teint. Il me fixe, inquiet, de ses grand yeux qui sont l’océan dans lequel il me plaît tant de me perdre. De quelle couleur seront ses iris quand je ne serai plus là ?

     

    - On a fini, m’informe-t-il avant de se lever.

     

    Oui, c’est fini, je le sais. Je m’y prépare. J’ai accepté ce que je ne pouvais changer. J’ai fait mes adieux à la vie, au parfum des fleurs, aux tempêtes sur la mer. A mes amis, à mes parents. Au sourire édenté de ma fille, au rire rocailleux de mon mari.

    Comme un robot, sans réfléchir, je l’imite alors que l’oncologue nous accompagne jusqu’à la sortie, nous serre la main avec une poignée amicale.

     

    Vous êtes en rémission complète.

     

    Mes larmes contenues tentent de se frayer un chemin hors de mes yeux alors que Solal me guide à travers la salle d’attente. Toutes ces personnes qui attendent la sentence. Derrière la porte close où se jouent les destins. La vie ou la mort, l’espoir ou le chagrin. Sont-ils réellement malades ou est-ce une fausse alerte ? Quels traitements, quelles opérations vont-ils devoir subir ? Est-il trop tard pour tenter quelque chose ?

    Je baisse le regard, refusant de croiser le leur, et me concentre sur mes pieds. Un pas après l’autre.

     

    Vous êtes en rémission complète.

     

    Loin de l’odeur aseptisée de l’hôpital, je reprends mon souffle. Je respire encore. Des perles d’eau roulent sur mes joues. Au milieu des passants, Solal me prend dans ses bras, me serrent jusqu’à m’étouffer. Ses larmes se mêlent aux miennes, offrent au baiser qu’il dépose sur mes lèvres un goût salé. Celui de nos dernières vacances en Bretagne. Celles qui avaient le goût d’éternité. Nous avions sauté dans les vagues, grignoté des crêpes au caramel au beurre salé le nez au vent, étendu nos corps mouillés l’un contre l’autre.

    Ses souvenirs sont la seule chose qui me reste. Plus jamais je ne les revivrai.

     

     

    Vous êtes condamnée.

    Vous êtes en rémission complète.

     

     

    Comment accepter que le chemin que j’avais enfin assumé de suivre prend une tournure si différente ?

    Octobre rose


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